Les facéties d'Hippocrate - Morceaux choisis - La mort

Publié le par Jean Christophe Bataille

 

 

 

LA MORT
 
 
Toute la famille est là. Le grand-père, la grand-mère, leur fils, leur belle fille et le petit-fils. Ils vivent assez loin de la ville, en pleine cambrousse, à l’ancienne. Le fils élève des oies … Il fait du foie gras, des gésiers, du confit. La mamie dort à moitié, avachie sur son siège … C’est elle dont je m’occupe. Le gamin est intenable … Il fait le tour de la salle d’attente en imitant le dernier Airbus ! Les autres sont assis … bien droits … les genoux serrés. Lorsque j’arrive, leurs yeux se tournent vers moi, m’interrogent … C’est tendu. Je l’ai déjà vu il y a quinze jours, la grand-mère … Elle avait des douleurs qui ne la lâchait plus … Partout … Des journées et des nuits de souffrance. J’ai tout de suite tiqué … En dehors de ses douleurs pas catholiques, elle avait remarqué autre chose … Des selles noires comme de l’ébène … « Luisantes » elle disait.
J’ai déclenché tout de suite l’offensive : examens du sang et des selles, radiographies, échographie abdominale, scintigraphie osseuse, coloscopie. J’ai déjà tous les résultats … Et c’est pas brillant … Elle a un cancer intestinal bien avancé, ma malade … Avec des métastases partout … Dans les os, le foie, les poumons. La famille ne se fait pas trop d’illusions … Ils ont bien vu qu’elle ne tournait pas rond leur mamie … « Elle est épuisée depuis un moment » m’ont-ils dit. Il n’y a que le petit qui ne se doute de rien. Lui, il est dans l’avion ! Il décolle puis atterrit dans la salle d’attente en faisant un vacarme du diable.
Je fais entrer tout mon monde dans le bureau. Je ne sais pas pourquoi dans ces cas-là, j’ai plus l’impression d’être notaire que médecin. J’ai le sentiment d’organiser une mauvaise réunion de famille … Celle où l’on apprend une vérité difficile à entendre.
L’aïeule est un peu déconnectée. La dernière fois, j’ai prescrit du lourd … Pour qu’elle oublie un peu son mal …
Certains prétendent qu’il faut dire la vérité au malade … Du genre : « Mettez vos affaires en ordre ! ». Moi je peux pas ! Ça me fait de la peine de la voir flipper, la grand-mère.
Je me contente d’envoyer un gros signe de connivence à mon gaveur d’oie … Je fais quelques pirouettes … Et j’embrouille le reste de la famille … Et je trouve que c’est bien mieux comme ça. Le môme aurait presque l’air d’approuver … Il nous réalise un décollage impeccable … Dans un bruit infernal … Toutes ailes déployées !
 
A suivre ...
 
Faut-il toujours dire la vérité au malade ?
Avez-vous déjà connu une telle situation ? Et qu'avez-vous pensé de l'attitude du médecin ?
 
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L
cet article m'interpelle, car j'ai eue une grosseur au sein droit et j'avais une mamo a passer, alors le radiologue sans me connaitre ni savoir comment est mon mental m'annonce tout de go 'madame vous avez un cancer,' urgence n°1 voir votre obstétricien de la clinique. C'était une nouvelle qui m'a perturbé mais je m'en doutais, c'était un matin et je suis resté seule toute la journée, et le soir avec mon mari et mon fils j'ai, quand ils m'ont demandé vers 20 heures en faisant la vaiselle" au fait et ta mamo?" aussi brutalement que je l'avais reçu en pleine face je leur dit c'est un cancer, devant leurs mines éffarées j'ai réalisé que j'avais été aussi dure que le radiologue qui avant complétement manqué de tact, Je suis d'un tempérament très fort et fataliste mais j'ai pensé que si il avait annoncé de la même façon cette nouvelle à une femme fragile quels dégats cela pouvait donner.<br /> Aller même si maintenant cela va bien c'est un mauvais souvenir de ce médecin qui j'estime n'avait pas le droit de me le dire de cette façon mais de me renvoyer vers mon gynéco qui lui connaissait mes réactions<br /> Voilà j'ai fini et de souhaite une bonne journée et te fais des bises
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K
En vérité je ne sais trop, sans doute cela dépend t-il des patients. Il y a sans doute ceux qui veulent savoir et qui n'assument pas, ceux qu'on imagine incapables d'entendre la vérité et qui en auraient eu besoin pour faire des choses qu'ils avaient toujours retardées. Le pire sans doute, c'est de ne rien dire aux proches, de les balader : j'ai connu ça en milieu hospitalier, je me suis mise en colère. C'est drôle on parlait de ça avec Patricia hier.<br /> Bonne soirée à toi
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N
a coté de ça le gosse a compris: la cotation d'airbus se casse la gueule aussi.........
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A
(suite) la mort c'est la grande question de la vie !!! La seule vraiment certaine !!<br /> Arlette
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A
Bien sûr que ça dépend des gens et que c le médecin qui connait son public : mais en ce qui me concerne je n'aurais pas aimé qu'on me cache quoique que ce soit du cancer que j'ai eu , c'est une maladie qui a de multiples visages et on doit en être informé pour pouvoir la combattre quand c'est possible et de toute façon se l'approprier : c'est notre corps, c'est notre vie et c'est notre mort qui en dépend. J'ai eu affaire à des médecins plus ou moins consentants en ce qui concerne l'information, mais je n'ai jamais l^ché le morceau pour être informée au maximum , comme si être informée c'était aussi savoir où ma diriger , avoir la main dans le jeu de vie et de mort qui se livre dans ces cas là : c'est vrai que dans mon cas ce n'était pas à priori désespéré , mais moi je n'en savais rien et s'il ne m'était resté que quelques mois à vivre alors j'aurai d'autant plus aimé le savoir car alors il n'y a pas de temps à perdre !!!! J'espère t'avoir apporté qqchose <br /> Arlette
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